18 octobre 2003

Le Pêcheur

On avait donné à la chose bien des noms. Auparavant le phénomène était connu sous le nom de perception extrasensorielle. Puis on l'avait appelé "psi". Mais au tout début, c'était de la Magie.


On avait donné à la chose bien des noms.
Auparavant le phénomène était connu sous le nom de perception extrasensorielle.
Puis on l'avait appelé "psi". Mais au tout début, c'était de la Magie.

Le sorcier, avec les oxydes dont il se servait comme de peinture, les osselets qu'il faisait grelotter dans un crâne humain, son sac plein d'ingrédients bizarres et nauséabonds, pouvait avoir pratiqué cet art d'une façon plus ou
moins empirique avant que le mot eut été prononcé. Il se fondait ainsi sur un principe qu'il ne comprenait pas, ignorant qu'il eût quelque chose à comprendre. Et ce savoir passait de main en main. Le sorcier du Congo utilisait les formules, les prêtres de l'Egypte avaient recours à ces préceptes et les sages du Tibet n'ignoraient pas ces pouvoirs. Mais dans tous ces cas, les principes n'étaient ni judicieusement appliqués, ni compris, et ils se trouvaient mêlés à quantité de sornettes.


Lorsque vint le temps de la raison, il se trouvèrent discrédités et bien rares furent ceux qui croyaient encore à leur efficacité.

Des jours de la raison, naquirent ensuite une méthode et une science, et il n'y eut plus de place pour la magie dans le monde édifié par la science, car elle ne comportait ni méthode, ni système, et il était impossible de la réduire à une formule ou une équation. Si bien qu'elle devint suspecte, exclue des grands courants de la vie et considérée comme un tissu de balivernes sans consistance.

Mais on lui donna un nom : PK, initiales de parakinésie, qui était trop long à prononcer. Et ceux qui étaient pourvus de ce don, on les appelait également des pourquoi et on les mettait sous les verrous, lorsqu'on ne leur faisait pas subir des sévices encore plus graves.

C'était une chose étrange, à la vérité, lorsqu'on prenait la peine d'y penser, car en dépit du gouffre immense qui séparait la pourquoi de la science, il avait fallu l'intervention des esprits hautement entraînés que la science avait formés pour enfin donner de l'efficacité à la PK.

Aussi étrange que la chose puisse paraître, il avait été nécessaire que la science fût développée la première. C'était indispensable, pour que l'Homme fût en mesure de comprendre les forces qui avaient libéré son esprit des liens qui le retenaient prisonnier et de puiser librement dans ce réservoir d'énergie qu'il transportait depuis toujours à son insu. Car pour l'étude de la PK, il avait fallu avoir recours à une méthode déterminée, et la science était le terrain d'entraînement sur lequel s'était développée la méthode.


Il y avait ceux qui prétendaient que, dans un passé lointain, deux routes s'étaient offertes à l'humanité. L'une portait un écriteau sur lequel on lisait "Magie" et l'autre un second écriteau sur lequel on lisait "Science". L'Homme
avait pris le chemin de la science et dédaigné celui de la magie. Beaucoup prétendirent que l'Homme avait commis une grande erreur dans le choix entre ces deux routes. Voyez, disaient-ils, à quel point il serait parvenu, s'il avait choisit la voie de la magie dès le début.

Mais ils se trompaient car il n'y avait eu qu'une seule route et pas deux.

L'Homme devait se rendre maître de la science avant de pouvoir dominer la magie.

Même si la science avait failli détruire à jamais la magie, en la rejetant dans les limbes sous les quolibets et le ridicule.

Le Pêcheur
Cliffor D. SIMAK