21 janvier 1986

L'évasion

Depuis combien de temps était-il là ? Il n'en savait rien. Depuis longtemps il avait perdu la notion du temps. Il était seul dans cette pièce sans meubles, excepté un lit, ou du moins ce qui en avait la fonction. Les murs roses couverts de mousse l'exaspéraient. N'ayant rien à faire, il s'asseyait sur la couche et pensait. Des souvenirs remontaient à sa mémoire... La pièce richement décorée exprimait une certaine aisance. Sur le bureau de chêne un encrier renversé sur des lettres, des livres précieux gisaient à terre comme un tapis de connaissances. Un plafonnier de cristal jetait une lueur blafarde sur un corps de femme étendue sur le tapis, du sang coulant de sa poitrine inerte. A ses cotés, agenouillé, se tenait un homme d'une quarantaine d'années, une main couverte de tâches rouges, l'autre crispée sur le manche d'un coupe-papier. Une minute, une heure, une éternité... Une sirène retentit au loin, puis se rapprocha inexorablement. Deux policiers entrèrent brusquement dans la pièce. Il se ruèrent sur l'homme au coupe-papier et l'entrainèrent. Ces souvenirs, il ne les reconnaissait pas. Qui était cette créature allongé à côté de lui ? Où était-il ? Parfois, il recevait une visite, un individu en robe noire qui lui parlait longuement, doucement, répétant sans cesse les mots "mort", "femme", "assassin", "jalousie". Il ne comprenait pas ce qu'on lui voulait, et il s'enfermait dans sa réflexion. Il parlait à la voix, et elle lui répondait. Durant des heures ils discutaient ensemble, de tout, de rien. Tous les jours les discussions reprenaient, et tous les jours il s'évadait un peu plus. Jusqu'au jour où la voix prit un visage, le visage d'une femme qu'il avait l'impression de connaitre. Ce jour là, de sa mémoire, ressurgirent en masse ses souvenirs et ils l'inondèrent comme les flots d'une marée acide. Il compris tout ce qui lui arrivait et ce qu'il faisait là. Il en fût désespéré et, durant toute la nuit, pleura son repentir. Le lendemain sa femme réapparue et, comme les jours précédents, ils discutèrent longuement. La dernière phrase qu'il prononça fût "Emmène-moi avec toi". Lorsque le hurlement déchira l'air, les gardes somnolaient. Dehors, dans un ciel nocturne pur, éclairé par une lune plein de messages, une comète transperça l'atmosphère. Ils se précipitèrent dans les chambres, et arrivèrent à celle de l'inconnu. Son cadavre apparraissait comme une tâche veloutée sur le sol rose. Son visage souriait comme celui de quelqu'un qui découvre enfin la liberté, tandis que dans l'air flottait une odeur de souffre.

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